En matière de cinéma, il existe une règle tacite disant que si un premier plan est capable de résumer ce qui va suivre, c’est que le film sera bon. C’est ce qu’on trouve dans Hors-saison de Stéphane Brizé et, oui, le film est bon !
L’histoire s’ouvre sur une voiture qui circule, filmée depuis un drone. Verticale, la route barre l’écran de haut en bas tandis que la voiture descend, symbolisant une chute.
Chute et même chute libre pour le principal personnage du film, incarné par Guillaume Canet. Il est en pleine crise existentielle, acteur qui vient de lâcher sa première participation à une pièce de théâtre. Il se retrouve en cure de thalasso, quelque part sur la côte atlantique, dans l’étrange vide d’une morte-saison.
Les plans filmés au drone reviendront deux fois au cours du récit et seront, à chaque fois, chargés de signification. Quand nous l’avons rencontré, Stéphane Brizé a expliqué ces différents plans : « Les images ne sont pas construites avec des mots. Elles sont organiques, même si je suis d’accord avec votre interprétation. Pour moi, c’était plutôt l’idée d’un entomologiste qui voit de haut. »
Hors-saison va bien sûr comporter une histoire d’amour et le cinéaste prend, là encore, du recul. « Un adjectif m’a accompagné tout au long de l’écriture : dérisoire ! Un acteur, tel celui qu’interprète Guillaume, c’est à la fois héroïque et dérisoire. À l’échelle du temps, tout cela ne compte pas. Tout le monde s’en fout : d’un film, d’une critique… En revanche, si un mec ne ramasse pas les poubelles pendant plusieurs jours ou si le facteur ne distribue pas le courrier, cela revêt une autre importance ! Vu d’en haut, l’homme n’est que cela, un tout petit insecte, et c’est poétique. »
Si, comme dans un film de Claude Sautet, le héros n’a pas encore le cœur en hiver, tout laisse à penser que la relation avec sa femme — dont on n’entend que la voix, celle de Marie Drucker, qui cosigne également le scénario — traverse l’automne.
Dans un rôle assez différent de ceux dans lesquels on est habitué à le voir — encore que l’acteur, dès lors qu’il passe derrière la caméra, aime la mise en abyme et l’autodérision —, Guillaume Canet est parfait et Alba Rohrwacher l’est tout autant.
« Quand je tourne un film, reprend Stéphane Brizé, j’ai besoin de me projeter dans l’acteur. Guillaume dit souvent qu’il est né triste, moi je dis que je suis né mélancolique. Comme il joue un acteur connu, il fallait que sa partenaire le soit moins. Encore qu’à Venise, où nous avons présenté le film, Alba est beaucoup plus connue que Guillaume. Que raconte le film, finalement ? C’est comme s’il disait que ce n’est pas si grave d’être en vie. C’est mélancolique mais on ne va pas pleurer. »
N’allons pas croire pour autant que Hors-saison va nous plomber le moral. Le film comprend plusieurs scènes burlesques, dont quelques-unes à base de ce que l’on appelle la paréidolie, qui consiste à voir des visages dans les objets du quotidien. « Depuis longtemps, je m’amuse à faire ce genre de photos et j’ai eu envie de les insérer. »
Au milieu de son scénario, le réalisateur ouvre une très belle parenthèse avec les résidents d’un Ehpad et le choix sexuel qu’a fait une vieille dame. On pense immédiatement à une séquence documentaire alors qu’elle est écrite et que les propos de la dame ne correspondent pas du tout à sa vraie vie. Écoutons Stéphane Brizé conclure : « Cette scène est une de celles que, de toute ma carrière, je préfère avoir tournée. »
Jean-Charles Lemeunier
Hors-saison
Année : 2024
Origine : France
Réal. : Stéphane Brizé
Scén. : Stéphane Brizé, Marie Drucker
Photo : Antoine Héberlé
Musique : Vincent Delerm
Montage : Anne Klotz
Durée : 115 min
Avec Guillaume Canet, Alba Rohrwacher, Sharif Andoura, Emmy Boissard Paumelle, Lucette Beudin…
Sortie en salles par Gaumont le 20 mars 2024.