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« L’Antilope d’or, la renarde et le lièvre » de Youri Norstein et Lev Atamanov : Fables poétiques… et politiques

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La force du cinéma est d’être capable, pour un film, de rester dans l’air du temps, malgré les années passées. Prenons l’exemple précis de L’Antilope d’or, la renarde et le lièvre, programme de deux courts-métrages d’animation datant de 1954 (L’Antilope d’or de Lev Atamanov, 31 minutes) et de 1973 (La Renarde et le lièvre de Youri Norstein, 12 minutes), que Malavida ressort en salles ce 27 mars.

Dans La renarde et le lièvre, la première vit dans une maison de glace tandis que le second habite une maison de bois. Naturellement, l’été venu, la renarde va se trouver fort dépourvue au point d’aller illico déloger son voisin. Non mais ! Ce dernier aura bien du mal à récupérer son bien, malgré le secours demandé auprès de ses amis loup, ours ou taureau.

Secondé par la voix de Damien Bonnard et par une animation très différente des dessins animés américains ou japonais que l’on connaît mieux — ici, il s’agit de papier découpé —, le récit s’adresse aux plus jeunes : dès 4 ans, précise Malavida, suivant la recommandation Benshi — « un site 100% indépendant, lit-on sur Internet, pensé pour les parents et les enfants de 2 à 11 ans ».

Mais que voit le parent qui suit avec attention les programmes montrés à ses rejetons ? Que les mésaventures du lièvre avec la méchante renarde pourraient être retranscrites à notre époque et qu’elles deviendraient l’écho de problèmes qui ont traversé le XXe siècle et sont, hélas, toujours de saison en ce début de XXIe. Comment ne pas penser aux expulsions, avec ce pauvre léporidé viré de chez lui, ou aux squatteurs qui s’emparent de votre appartement, que vous n’avez plus le droit de récupérer ? Aux migrants, alors que le petit animal se retrouvant sans toit cherche désespérément du secours auprès de ceux qu’il croise ? Et à une invasion d’un pays par un autre, quand la renarde débarque chez lui et décide que cette maison de bois est désormais la sienne ?

Bien entendu, les explications politiques du film ne sont qu’extrapolations mais mettons-nous à la place des enfants à qui est destiné ce beau programme. De même que les générations précédentes ont appris la douleur de la perte d’un parent avec la mort de la mère de Bambi, les petits qui verront La Renarde et le lièvre pourront se dire qu’on ne peut décider de s’emparer de ce qui n’est pas à nous, sous prétexte qu’on en a envie. Quant à ceux qui ont envie d’aller plus encore en profondeur dans l’analyse, ils pourront décréter que le lièvre, finalement, n’est pas très secourable, lui qui aurait pu ouvrir sa porte à une renarde nécessiteuse et réfugiée climatique. Autant dire qu’à la manière d’une fable d’Ésope ou de La Fontaine, La Renarde et le lièvre offre plusieurs lectures possibles et des conversations pédagogiques infinies. 

Ajoutons que Youri Norstein est également l’auteur du très poétique Hérisson dans le brouillard, que Malavida nous avait proposé l’an dernier.

Plus classique dans son animation — disons plus proche de ce que faisaient, à la même époque, les Américains — L’Antilope d’or est un conte oriental philosophique et merveilleux, qui parle de cupidité et de liberté.

À la manière du roi Midas qui désirait transformer en métal précieux tout ce qu’il touchait ou, plus près de nous, d’un oncle Picsou adorant crawler dans ses pièces, le maharadjah de l’histoire a repéré une antilope lâchant de l’or comme autant de gouttes de sueur. Bien entendu, il n’a qu’une idée : mettre la main sur cette fabuleuse bestiole. Sauf qu’elle court vite, plus vite que ses chasseurs. Et qu’elle va être aidée par un jeune garçon qui travaille dans les champs.

Il convient déjà de vanter un film qui, treize ans avant la version que Disney donnera du Livre de la jungle, va en donner les principaux personnages. À peine plus âgé que Mowgli, le jeune héros va croiser sur son chemin un tigre, des singes, un serpent, un éléphant, les ruines d’une cité enfouie sous les arbres… Vous me direz que c’est normal, puisque l’action se déroule en Inde, mais tout de même, on peut faire le rapprochement, d’autant plus que l’animation est fluide et proche, on le mentionnait au début, de celle des studios américains.

L’Antilope d’or place face à face la générosité du jeune garçon et la cupidité du maharadjah, celui qui vit dans la nature et aide les animaux et celui qui habite un palais et n’est jamais rassasié des bienfaits dont il profite. La lecture du conte pourrait être marxiste : après tout, le film a été produit sous l’ère soviétique.

Sans avoir besoin de franchir les limites, si l’on veut rester au premier degré de ces deux jolis courts-métrages, on trouvera là deux histoires pleines de bon sens qui plairont tout autant aux tout-petits qu’aux plus grands. Jusqu’aux adultes ! Et ce n’est pas pour rien si ce programme a reçu le soutien jeune public de l’AFCAE.

Jean-Charles Lemeunier

« L’Antilope d’or, la renarde et le lièvre », programme inédit de deux courts-métrages d’animation sorti en salles par Malavida le 27 mars 2024.


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