Chez Ridley Scott, il n’est pas rare qu’un personnage qui s’est fixé un but — traquer des réplicants pour Harrison Ford dans Blade Runner, surveiller un témoin protégé pour Tom Berenger dans Traquée — tombe amoureux et voit sa destinée changer.
Le cinéaste anglais a-t-il voulu faire de même en s’attaquant à la légende napoléonienne ? Le destin de Napoléon semble tracé sauf que, dans le film, à partir du moment où il tombe amoureux de Joséphine et est obligé de s’en séparer parce qu’elle ne peut lui donner un enfant, la chance s’éloigne.
Ridley Scott aurait pu donner SA vision du personnage, celle d’un Napoléon maladroit en amour et totalement lié à sa femme. Celle d’un amoureux qui, obligé de divorcer de celle qu’il aime pour raison d’État, voit ses rêves se briser.
Malheureusement, le scénario n’approfondit pas cette relation amoureuse. Il n’est ainsi rien dit de leur différence d’âge et la séquence du mariage, où chacun d’eux décline une fausse date de naissance, n’est pas expliquée. Ce qui fait que le spectateur non féru d’histoire napoléonienne pense que Joséphine n’a qu’un an de plus que Napoléon, alors qu’elle en avait six. Ce problème concerne également le choix des acteurs. Joaquin Phoenix correspond mieux à Napoléon qu’à Bonaparte, ne serait que par l’âge et l’embonpoint. D’autres cinéastes, avant Scott, avaient choisi de prendre deux acteurs différents : Jean-Louis Barrault était Bonaparte et Sacha Guitry Napoléon dans Le Destin fabuleux de Désirée Clary. Daniel Gélin et Roger Pellegrin se partageaient le rôle dans le Napoléon de Sacha Guitry. Quant à Vanessa Kirby qui incarne Joséphine, malgré son talent, elle est définitivement trop jeune par rapport à son partenaire.
On se retrouve donc avec un film encombré de l’imagerie d’Épinal. En seulement 2h30 — d’autres, à commencer par Gance et Guitry, ont consacré tellement plus à la vie de Napoléon —, Scott veut balayer l’ensemble de la carrière de son personnage. Il ne fait que survoler, caricaturer parfois — les séquences de la Révolution —, trouvant enfin un souffle dans les scènes de bataille : Austerlitz et Waterloo sont deux grands moments dans le film et tant pis si la vérité historique est totalement bafouée. Ainsi, il n’y eut jamais de lac gelé cédant sous le poids de l’armée à Austerlitz mais la mise en scène est réussie. De même, l’idée du sniper à Waterloo, qui tient l’Empereur en joue et que Wellington arrête, peut faire sourire, vue la distance à parcourir pour que la balle atteigne son but, surtout avec des armes du début du XIXe siècle. Ne tenons pas compte de ce détail et apprécions, là encore, la réalisation.
Question détails, on pourrait en signaler un autre qui va dans le bon sens. À chaque fois qu’un coup de canon est tiré — et il y en a beaucoup —, ceux qui sont à côté se bouchent les oreilles et sursautent à la déflagration. On a rarement vu cela au cinéma et une impression de véracité l’emporte.
De même, on appréciera aussi, au retour de l’île d’Elbe, la séquence où Napoléon est arrêté par des soldats recevant des ordres de la nouvelle monarchie mise en place après sa première abdication. Cet enthousiasme des anciens grognards pour leur empereur n’est, et c’est dommage, montré qu’à ce moment-là. La caméra ne quitte pas Napoléon et ses proches et l’on ne sait jamais ce que le peuple en pense ni ce que le règne a apporté — ou pas — au pays.
Revenons à l’histoire d’amour qui lie Napoléon à Joséphine. Pourquoi Ridley Scott la concentre-t-il en trois scènes sexuelles du pire effet ? Sans doute le futur empereur a-t-il appris l’amour et ses gestes dans les bras de sa maîtresse. Le cinéaste pouvait alors relire l’épopée napoléonienne à l’aune de cet amour infini et malheureux. L’occasion d’offrir à Joaquin Phoenix un rôle digne de celui qu’il tenait avec brio dans Two Lovers de James Gray.
À l’issue de la projection, on ne peut que se dire que l’on vient d’assister à la version courte du projet de Ridley Scott. Qu’il manque des scènes plus denses, plus explicatives, entre les grandes dates qui ont marqué la vie de Napoléon. Le générique annonce ainsi la présence de Ludivine Sagnier qui, renseignement pris, n’apparaît que dans la version longue.
Prenons encore l’exemple égyptien. Outre le fait que Bonaparte n’a jamais bombardé les pyramides de Gizeh, Scott le filme découvrant une momie et lui caressant la joue. Oui, et alors ? Pourquoi cette scène ? En faisant des recherches sur Internet, on comprend qu’elle est l’exacte reproduction d’une peinture de Maurice Orange, datant de la fin du XIXe siècle, et qui souligne l’aspect scientifique de la campagne d’Égypte. Sortie de son contexte, la séquence perd malheureusement tout son sens et il semble que ce soit le cas de beaucoup d’épisodes de cette saga. Attendons donc la version longue… Qui risque de n’être diffusée que sur Apple TV.
Jean-Charles Lemeunier
Napoléon
Année : 2023
Origine : États-Unis, Grande-Bretagne
Réal. : Ridley Scott
Scén. : David Scarpa
Photo : Darius Wolski
Musique : Martin Phipps
Montage : Sam Restivo, Claire Simpson
Durée : 158 minutes (version originale), 270 min (version longue)
Avec Joaquin Phoenix, Vanessa Kirby, Tahar Rahim, Ben Miles, Ludivine Sagnier, Rupert Everett…
Sortie en salles le 22 novembre 2023.