Voici deux bonnes nouvelles en une : non seulement Lune froide, le premier long-métrage réalisé par Patrick Bouchitey en 1991, ressort en salles ce 15 novembre puis en DVD/Blu-ray en décembre, mais en plus, il tient le coup. Venu le présenter en avant-première à Lyon, à l’occasion du festival Lumière en octobre, Patrick Bouchitey en a rappelé la genèse : « En 1971, je suis tombé sur Les Nouveaux Contes de la folie ordinaire de Bukowski. La première nouvelle m’avait impressionné la pellicule ! Quand j’ai eu envie de tourner un court-métrage, l’histoire s’est imposée. Il était difficile d’être fidèle totalement, aussi je l’ai adaptée. Le court-métrage a eu un prix à Clermont-Ferrand et j’ai décidé d’en faire un long-métrage, deux ans après. »
Malgré l’époque qui a changé, le film est toujours aussi fort. Interprétés génialement par Bouchitey lui-même (Dédé) et Jean-François Stévenin (Simon), les deux zozos de 1991 qui paraissaient cools et nous faisaient rire, constamment imbibés d’alcool qu’ils étaient (on est dans Bukowski ou on l’est pas !), sont aujourd’hui beaucoup plus pathétiques. Ces deux paumés quadragénaires qui refusent de sortir de l’adolescence ne passeraient plus l’épreuve de Me Too. Il faut les voir draguer les filles et en parler. Il faut voir le personnage de Bouchitey baver devant une Stratocaster en vitrine, lui qui n’a même pas été foutu d’apprendre à en jouer. Dédé et Simon cachent en eux une mélancolie qu’ils coulent dans le béton du cynisme et, en cela, malgré l’adaptation clamée par Bouchitey, le ton reste très fidèle à Bukowski et à sa Sirène baiseuse de Venice, Californie (traduction de The Copulating Mermaid of Venice, Calif.). Le film prend également appui sur une autre nouvelle, Panne de batterie (Trouble with the Battery).
Tourné dans le Morbihan, Lune froide commence sur une plage. Tandis que Stévenin se prélasse au soleil, son bidon rebondi à l’air libre, Bouchitey chante sa propre version de Let It Be : « Les p’tites bites… » Tout au long du film, ces deux-là sont tout à la fois semblables et différents, semblables dans l’envie de déconner mais différents malgré tout dans la manière d’appréhender les choses, Stévenin affichant moins le je-m’en-foutisme inoxydable avec lequel Bouchitey se protège. « Nous sommes ici, écrivait Bukowski, pour désapprendre les enseignements de l’église, de l’état et du système éducatif. Nous sommes ici pour boire de la bière. Nous sommes ici pour tuer la guerre. Nous sommes ici pour rire des probabilités et vivre si bien nos vies que la Mort tremblera pour nous prendre. » Cela pourrait être le pitch du film.
Car derrière la gaudriole se cache une terrible angoisse métaphysique. D’autant plus que la nouvelle et le film abordent la très délicate question de la nécrophilie et qu’une désespérante tristesse vient s’ajouter à tout le reste.
Dédé et Simon fréquentent une galerie de pochetrons pas piquée des vers et l’on sent que l’acteur-réalisateur s’est amusé à confier leurs rôles à ses copains, tous géniaux même s’ils ne font qu’une apparition : Jean-Pierre Bisson, Roland Blanche, Hubert Saint-Macary, Patrick Fierry, Jean-Pierre Castaldi… Ajoutons Jackie Berroyer, coscénariste du film, qui apparaît sous une soutane de curé. Grâce à eux, grâce à plein de détails, Lune froide est tout autant bukowskien que bouchiteyien. Comme lorsque Dédé coupe le son de la télé et refait les dialogues du western qui y passe, à la manière de ses tordants doublages de La Vie privée des animaux.
Un dernier mot sur les très belles images en noir et blanc signées par Jean-Jacques Bouhon. Patrick Bouchitey y tenait : « La lune, un linceul, c’est blanc. Et le corps d’une femme nue est beau quand il est en blanc et noir. »
Après Lune froide, Patrick Bouchitey tournera encore Imposture en 2005, film produit par Luc Besson comme l’était le précédent, tombé dans les oubliettes et malheureusement impossible à trouver en DVD. Ce que regrette aujourd’hui Bouchitey qui ne comprend pas que ce deuxième opus ne puisse être numérisé. Il le regrette : « Un film pas numérisé est mort ! » Espérons qu’un éditeur puisse trouver le chemin qui mène aux droits.
Lune froide ressort donc au cinéma le 15 novembre, grâce à Malavida, et sera disponible en DVD/Blu-ray en décembre chez Le Chat qui fume — avec, en bonus, le court-métrage Lune froide de 1988. Et cela, je vous le disais dès le départ, est une double et excellente nouvelle.
Jean-Charles Lemeunier
Lune froide
Année : 1991
Origine : France
Réal. : Patrick Bouchitey
Scén. : Patrick Bouchitey, Jackie Berroyer d’après Charles Bukowski
Photo : Jean-Jacques Bouhon
Musique : Didier Lockwood, Jimi Hendrix, Procol Harum, Kinks
Montage : Florence Bon
Prod. : Luc Besson
Durée : 90 min
Avec Jean-François Stévenin, Patrick Bouchitey, Jean-Pierre Bisson, Consuelo de Haviland, Laura Favali, Silvana de Faria, Karine Nuris, Roland Blanche, Jean-Pierre Castaldi, Dominique Maurin, Jackie Berroyer…
Sortie en salles par Malavida le 15 novembre 2023 et en DVD/Blu-ray par Le Chat qui fume en décembre 2023.