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« Oppenheimer » de Christopher Nolan : Dans le désordre

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Il en est des recettes comme de certains films. Quelques-uns les savourent immédiatement, d’autres sentent d’emblée une irritation du palais. Les derniers enfin, dont je fais souvent partie, trouvent le plat délicieux si ce n’est qu’ils comportent un ou deux ingrédients, voire une épice, pas du tout adaptés à l’ensemble.

Voici donc en quel état je me retrouve après la vision de Oppenheimer de Christopher Nolan. Il y a chez quelques cinéastes contemporains — Nolan en fait partie mais l’on peut également penser à Iñárritu — un style qui se transforme parfois en manie et dont la recette pourrait tenir en deux ou trois lignes. Prenez un récit bien construit, découpez le en plusieurs chapitres, mettez le tout dans un grand chapeau, mélangez bien. Collez ensuite les différents épisodes, dans le désordre chronologique le plus total, sur une grande feuille de papier. Vous obtenez ainsi votre scénario.

Tom Conti dans le rôle d’Albert Einstein et Cillian Murphy dans celui de J. Robert Oppenheimer

C’est y aller un peu fort, me direz-vous et, à coup sûr, Nolan a trouvé intéressant, voire démonstratif, le fait de désordonner son film, d’en raboter le cours originel. Ainsi, on ne pourra prendre du recul sur la trajectoire entière d’une vie, en se remémorant certaines étapes qui sont comme autant de balises sur le chemin. Non, cela serait demander au spectateur un trop grand effort de mémoire. Donc, on mélange et, pour mieux comprendre parce que, entre nous, c’est pas toujours évident de tout replacer dans l’ordre, on choisit arbitrairement de filmer en noir et blanc un passage. Histoire d’essayer de s’y retrouver un peu.

Tout cela semble artificiel et compliqué mais c’est un style, me direz-vous, et Nolan s’y tient. C’est un peu dommage de perdre ainsi son public dans la chronologie et le nombre de personnages mais c’est ainsi.

Cillian Murphy

Admirablement joué par Cillian Murphy, Robert Oppenheimer reste un personnage énigmatique dont on comprendra, à la fin, pourquoi il a joué un rôle de martyr sans vraiment chercher à se défendre. Dans ce film foisonnant, Nolan entend traiter plusieurs sujets à la fois : l’engagement communiste des scientifiques pendant la guerre d’Espagne, la mise en route de la bombe atomique, les histoires de cœur d’Oppenheimer, ses liens avec les services secrets, sa mise à l’index par le maccarthysme, etc. Avec un souci évident de vouloir parler de tout, Nolan va jusqu’à se tromper dans ses citations. Cela relève, certes, du détail mais a tout de même son importance. Lorsque, jeune homme, Oppenheimer fréquente le milieu scientifique universitaire, il parle de Marx avec sa future maîtresse et le cite : « La possession, c’est le vol. » Sauf que le fameux « La propriété, c’est le vol » est dû à l’anarchiste Proudhon et qu’on aurait tort de mettre dans le même panier deux œufs aussi divergents que communisme et anarchisme. Passons.

Florence Pugh, Cillian Murphy

Le film montre aussi combien le nazisme a pu diviser le monde scientifique : étant pour la plupart juifs, de nombreux chercheurs se sont réfugiés aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale et ont participé à l’élaboration de la bombe. D’autres sont restés en Allemagne et ont appuyé de leurs connaissances des recherches parallèles.

Cillian Murphy

Ce récit touffu ne doit pas nous faire oublier le sujet principal autour duquel tourne Oppenheimer : l’éthique. Comment, dans cette course à l’armement face aux nazis, les savants ont été trompés par l’armée américaine qui a finalement balancé les deux bombes sur un autre ennemi, le Japon. Et comment Oppenheimer a finalement désavoué son travail sur le projet Manhattan.

Au côté de Cillian Murphy, très bien, quantité de gens connus viennent tenir un rôle important (Emily Blunt, Matt Damon, Robert Downey Jr., Florence Pugh, Josh Hartnett) ou faire un petit tour, une petite cabriole histoire de dire tiens, c’est machin : Kenneth Branagh et Tom Conti sont les prix Nobel Niels Bohr et Albert Einstein, Gary Oldman le président Harry S. Truman, Rami Malek et Matthew Modine incarnent d’autres scientifiques, Casey Affleck un militaire, Alden Ehrenreich un assistant parlementaire…

Matt Damon

Trois heures pour conter une vie, c’est peu, me direz-vous. Mais à trop vouloir en dire, Nolan ne risque-t-il pas de passer à côté de son propos ? Qui trop embrasse manque le train, s’amusait un de mes oncles en parodiant un célèbre adage. Il avait bien raison.

Jean-Charles Lemeunier

Oppenheimer
Année : 2023
Origine : États-Unis, Royaume-Uni
Réal, scén. : Christopher Nolan d’après Kai Bird et Martin J. Sherwin
Photo : Hoyte Van Hoytema
Musique : Ludwig Göransson
Montage : Jennifer Lame
Durée : 180 min
Avec Cillian Murphy, Emily Blunt, Matt Damon, Robert Downey Jr., Florence Pugh, Josh Hartnett, Casey Affleck, Rami Malek, Kenneth Branagh, Matthew Modine, Tom Conti, Alden Ehrenreich, Gary Oldman…

Sortie par Universal sur les écrans le 19 juillet 2023.


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