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« Jeanne du Barry » de Maïwenn : Basse cour

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Voilà donc une nouvelle édition du festival de Cannes qui se place d’emblée sous les ailes de la polémique. Elles sont déjà nombreuses (à propos des films de Maïwenn, Catherine Corsini ou Géraldine Danon), sans compter la CGT et les intermittents qui veulent procéder à des coupures de courant ou l’histoire du tapis rouge qui se ferait fouler par quantité de gens peu recommandables. Bref, comme disait dans le temps Kyan Khojandi, ça commence bien.

D’autant plus que le film d’ouverture, Jeanne du Barry de Maïwenn, n’est pas exempt de commentaires venimeux en ce qui concerne son interprète principal, tout juste sorti d’un procès épineux. Si l’on est, en outre, en droit de s’étonner quant à la présence du monsieur dans le rôle d’un roi de France — ce qui, il faut bien l’admettre, est assez bizarre comme idée —, ce n’est pas la seule interrogation que pose le film.

On a déjà dit dans ces colonnes tout le bien que l’on pensait de Maïwenn et de son travail. Mais là, sa Jeanne du Barry ressemble fort à un caprice d’enfant gâtée. Beaucoup de faste, d’acteurs qui n’ont parfois qu’une ou deux lignes de dialogue, tout cela pour dire quoi ? Qu’une fille issue du peuple peut tomber amoureuse de quelqu’un qui n’est pas de sa classe sociale ? C’est malheureusement sur les problèmes d’étiquette que Maïwenn insiste le plus. Certes, tout cela nous semble bien ridicule — le fait, par exemple, de ne jamais pouvoir tourner le dos au roi et de devoir quitter la pièce à reculons, à tout-petits pas — mais jamais la cinéaste ne signe un film social. Le vent de liberté que la Du Barry fait souffler sur Versailles nous paraît, vu de notre XXIe siècle, assez faible, tout juste une petite bise, de celles que la favorite royale glisse dans le cou de son amant.

Endormi par toutes ces histoires de cour dont il n’a que faire, le spectateur soudain sent son intérêt se réveiller avec l’arrivée à Versailles de Marie-Antoinette. Curieusement, le dauphin, futur Louis XVI, prend ici les traits d’un jeune homme dégingandé (Diego Le Fur) et plutôt culotté — puisqu’il ose défendre Jeanne face à la méchanceté des filles du roi. Par jeu sans doute, Maïwenn choisit de situer son personnage très loin de l’imagerie d’Épinal dans laquelle il se prélasse ordinairement — et tant pis si les véritables images d’Épinal n’ont été créées qu’en 1796. Où est passé le dauphin grassouillet que l’on a l’habitude d’imaginer, plus occupé par des problèmes de serrurerie que par les émois amoureux de son épouse ? Escamoté, semble-t-il, et la dernière image — et tant pis pour le spoilage — du dauphin étendant ses bras face à la foule de courtisans (« Le roi est mort, vive le roi »), semblable au Christ de Rio, nous montre combien une artiste, aussi douée soit-elle, peut soudain prendre ses désirs pour des réalités. Et passer, on ne sait pourquoi, à côté d’un grand sujet. Malheureusement, cette Jeanne du Barry n’a rien à voir avec la Marie-Antoinette de Sofia Coppola, si personnel, si original.

De tout ce beau monde, seul Benjamin Lavernhe (dans le rôle de La Borde, premier valet de chambre du roi) est bien servi, avec un rôle à sa mesure et correctement construit. Les autres, à part bien sûr Jeanne du Barry, n’ont pas grand chose à défendre, se contentant d’apparaître. Quant à Louis XV… Johnny Depp en fait un personnage silencieux, plus proche d’un chef indien que d’un roi de France, qui semble s’amuser des facéties de son amoureuse. Et c’est tout. On espérait sans doute un film plus politique, plus amoureux, plus social, qui prenne aux tripes. Hélas, on n’y est pas.

Alors, bien sûr, on a tellement envie de dire du bien de Maïwenn que certains vont chercher très loin des raisons de voir le film. Et si Maïwenn, catapultée toute jeune à la cour du roi Luc Besson, racontait son propre parcours ? Mouais… Pourquoi, alors, prendre autant de détours et de contre-allées ? Ce serait dommage de noyer à ce point le poisson d’autant plus que l’actrice-réalisatrice nous a habitués à être beaucoup plus directe. Et puis, aussi dure que sa vie ait été, elle se trouve aujourd’hui bien mieux lotie que Madame Du Barry au terme des six années qui marquèrent son règne à la cour de France.

Jean-Charles Lemeunier

Jeanne du Barry
Année : 2023
Origine : France
Réal. : Maïwenn
Scén. : Maïwenn, Teddy Lussi-Modeste, Nicolas Livecchi
Photo : Laurent Dailland
Musique : Stephen Warbeck
Durée : 113 min
Avec Maïwenn, Johnny Depp, Melvil Poupaud, Robin Renucci, Pierre Richard, Marianne Basler, Pascal Greggory, Caroline Chaniolleau, India Hair,Patrick d’Assumçao, Diego Le Fur, Noémie Lvovsky, Nathalie Richard…

Ouverture du festival de Cannes et sortie sur les écrans le 16 mai 2023.


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