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Louis Malle, gentleman provocateur : Guerre et révolution

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Poursuivant son hommage au cinéaste français disparu en 1995, Louis Malle, gentleman provocateur, Malavida ressort ce 10 mai, dans des restaurations 4K assurées par Gaumont, Lacombe Lucien (1974), Au revoir les enfants (1987) et Milou en mai (1990). Trois histoires au cours desquelles la France est confrontée à la guerre et à une forte révolte qui prend des allures de révolution.

C’est une constante, Malle a le souci de s’entourer de scénaristes de qualité : Patrick Modiano pour le premier, Jean-Claude Carrière pour le dernier (avec qui il a déjà travaillé plusieurs fois). En revanche, pour un sujet qui lui est très personnel, celui d’Au revoir les enfants, il écrit tout seul. Il a lui-même, pendant la guerre, connu ces institutions religieuses et l’on est en droit de penser que Malle a glissé dans son scénario plusieurs éléments autobiographiques. Il déclara que le film était une fiction mais qu’il avait été traumatisé par l’arrivée dans son collège de la Gestapo, traquant des enfants juifs.

Rythmée par la musique de Saint-Saëns et Schubert, cette histoire d’amitié entre deux enfants, pervertie par la dénonciation, le nazisme et les camps de la mort, place l’émotion au premier plan, chose assez inhabituelle chez Louis Malle qui aime mettre de la distance entre un sujet et les émois qu’il suscite.

Lacombe Lucien évoque aussi la guerre, avec un jeune homme qui, voulant rejoindre la Résistance, se retrouve dans les rangs de la milice. Dès le générique, Lucien fonce sur son vélo et c’est ainsi que va être décrit ce personnage : un impulsif qui ne réfléchit pas forcément aux conséquences de ses actes. Le film doit beaucoup à son interprète, Pierre Blaise. Pour incarner son Lucien, Malle désire un inconnu. À 19 ans, Pierre Blaise connaît la consécration, tourne trois autres films dans l’année 1975 et se tue dans un accident de la route, âgé de 20 ans. Son destin fait penser à celui d’Alessandro Momo qui, après avoir joué quelques rôles enfant, est révélé par deux films, Malicia (1973) et Parfum de femme (1974). Et se tue dans un accident de moto, cette même année 1974, à l’âge de 17 ans.

L’anecdote est connue : alors que son personnage de Lucien doit assommer un poulet du plat de la main, Pierre Blaise saisit le volatile et lui fiche un tel coup que la pauvre bestiole s’en trouve décapitée. Louis Malle garda la séquence au montage. C’est exactement ce que désirait le cinéaste et c’est bien la preuve qu’il avait trouvé l’interprète idéal : faire de Lacombe un être frustre, bourru, volontiers agressif.

Pierre Blaise dans « Lacombe Lucien »

C’est avec ce Lacombe Lucien que Malle mérite le mieux cet épithète de « gentleman provocateur ». Sorti en 1971, son précédent long-métrage, Le Souffle au cœur, avait provoqué des polémiques parce que Malle y abordait librement des questions qui choquaient la société post-gaulliste : l’inceste, la pédophilie, la masturbation, etc. Le rejet est encore à l’ordre du jour avec Lacombe Lucien. La France a construit vaillamment l’image d’un pays héroïque et résistant face à l’envahisseur nazi. Dès 1969, avec son documentaire Le Chagrin et la Pitié, Marcel Ophuls est venu abattre ce jeu de cartes. La réalité n’était pas aussi simple et les collabos avaient été nombreux. Cinq ans plus tard, Malle en rajoute une couche en proposant un jeune homme qui se trompe de voie et l’assume totalement par le biais d’une dénonciation. Malgré son prix Méliès, une récompense en Angleterre et une nomination aux Oscars, la réaction au film est négative et l’on dit qu’elle fut l’une des raisons du départ du cinéaste vers les États-Unis. Ce qui dérange le plus le public, et qui reste l’une des grandes qualités du cinéma de Malle, c’est que Lucien n’est jamais jugé. Il est tout à la fois victime des dures conditions de la paysannerie et un salaud. Les circonstances poussent parfois les hommes à commettre des actes qu’ils n’auraient jamais accomplis à une autre époque.

Comble de l’ironie, l’action du film débute en juin 1944. Autant dire qu’entre la première course à vélo de Lucien et la fin, le débarquement a eu lieu en Normandie et les armées nazies sont exsangues. Lucien est d’autant plus stupide qu’il aurait pu devenir, comme de nombreux compatriotes, un résistant de la dernière heure. Au contraire, et l’on peut sans aucun doute mettre son erreur d’aiguillage sur une méconnaissance totale de ce qui se passe, Lucien choisit la voie de la collaboration. Mais pourquoi ne pas envisager, car tout est possible avec Malle, que cette prise de position est, de la part d’un garçon rebelle, un dernier pied-de-nez à tous ceux qui se permettent de lui imposer des travaux qui ne lui conviennent pas ? Une sorte de désobéissance aussi totale qu’irréfléchie.

Enfin, Milou en mai est une attachante chronique familiale sur fond de mai 68, un mai 68 surtout entendu sur les ondes des radios. Le film est rythmé par la musique survitaminée de Stéphane Grappelli, une riche idée qu’avait déjà eue Bertrand Blier pour Les Valseuses. Le jazz du violoniste est entraînant, virtuose et donne un contrepoint parfait à ces échanges familiaux qui peuvent se durcir ou devenir mélancoliques. Car il est vrai que le film emprunte de nombreuses directions : il débute en drame, se poursuit en comédie de mœurs sordide (le partage d’un héritage), amorce une incursion dans l’utopie soixante-huitarde, revient au galop avec une fable quasiment surréaliste et s’achève dans la poésie rêveuse. Sans unité de ton ni de style, le film ne cesse de surprendre, les scènes « à faire » n’étant jamais là où on les attend. Certes on pense fortement à Buñuel — et la présence de Jean-Claude Carrière au générique, son scénariste de la période française, n’y est sans doute pas étrangère — mais également à Bertrand Blier, autre grand maître de la rupture.

Quand Louis Malle rend hommage à Jean Renoir : la partie de campagne de « Milou en mai »

J’ai retrouvé dans mes archives les notes de la conférence de presse donnée alors à Lyon, à la sortie du film — comme quoi, cela sert d’avoir un semblant d’ordre dans son désordre. Michel Piccoli — ô combien attachant Milou — déclarait : « Louis Malle a voulu montrer l’humeur et le trouble que déclencherait mai 68 mais Milou n’est pas une étude socio-politique ou historique de 68. »

Il faut encore saluer le choix des comédiens : de Piccoli à Miou-Miou, de Paulette Dubost (clin d’œil à Renoir) à Dominique Blanc, de Michel Duchaussoy (« C’est de Gaulle ! », a dit de lui Piccoli) à François Berléand, avec mention spéciale à Bruno Carette, dont c’est le dernier rôle et à qui le film est dédié.

Jean-Charles Lemeunier

Louis Malle, gentleman provocateur : trois films (Lacombe Lucien, Au revoir les enfants et Milou en mai), sortis par Malavida dans les salles le 10 mai 2023.


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