Sorti il y a un an au Canada, Noémie dit oui arrive enfin sur les écrans français et, ainsi que le titre nous incite à le faire, le public a lui aussi très envie de dire oui au film de Geneviève Albert. Laquelle s’est déplacée dans l’Hexagone pour présenter son œuvre.
« Ce fut un travail de longue haleine », expliquait-elle à propos de son scénario qui traite de la prostitution des adolescentes. « J’ai réussi à rencontrer des escorts mais, pour certaines, le simple fait d’en parler est traumatisant. J’ai aussi vu celles qu’on appelle des « survivantes », des femmes qui ont réussi à sortir de la prostitution. Et, également, un proxénète de 17 ans. J’ai été surprise par son âge, mais aussi par son intelligence, son charisme, ses réparties… Clairement, les jeunes filles à qui il avait affaire ne se méfiaient pas du tout de lui. La manipulation qui entoure la prostitution est sournoise. »
Pendant la préparation de Noémie, Geneviève Albert a ainsi fait des recherches auprès des centres de jeunesse, de la police et d’avocats. Son héroïne, à qui Kelly Depeault prête toute sa fraîcheur et son talent, est un mix de toutes les jeunes femmes qu’elle a interrogées.
« L’histoire que je raconte est assez classique. Ces adolescentes viennent souvent d’un milieu socio-économique pauvre et elles sont fragilisées. La manipulation des proxénètes est archétypale, avec des viols collectifs fréquents pour casser les filles, les désensibiliser à la sexualité. »
Ce qui, en revanche, est moins classique est la façon de raconter ce qui arrive à Noémie. Geneviève Albert dessine d’abord un parcours chaotique, un rejet maternel, des crises d’angoisse et de fureur avant d’aborder le vif du sujet qui est la rencontre avec un gang et la manière insidieuse de forcer la jeune fille à la prostitution. Ensuite, véritable tour de force, la cinéaste enferme les séquences de prostitution, toutes filmées avec une rare pudeur et une dureté qui n’en est que plus forte, le temps du Grand Prix de Formule 1 de Montréal, qui dure trois jours.
« Lors de ces grands prix, explique Geneviève Albert, qu’ils soient à Montréal, Monaco ou ailleurs, la prostitution explose. Les jeunes filles sont recrutées par les proxénètes dans les centres de jeunesse pour combler cette demande. Je n’ai pas voulu éviter l’horreur mais j’avais envie d’insister sur l’esthétique de la répétition. Qu’on soit forcé de vivre la même aliénation, le même enfer que Noémie, tout en m’éloignant d’une mise en scène racoleuse, sexualisante, érotisante, voyeuriste. »
Comment faire cela ?, s’est questionnée Geneviève. La réponse fut trouvée : « En tournant la caméra vers les clients. Ils sont d’habitude les invisibles de cette réalité. On n’en parle peu dans le débat sociétal. Je voulais leur donner un corps, une dimension, une présence. Je n’ai pas fait un casting spécial. Ce sont des clients ordinaires, de tous âges et de tous portefeuilles. »
Autre trouvaille géniale, les chiffres qui s’affichent à l’écran comme s’il s’agissait du décompte des tours de pistes des voitures de course et qui désignent en fait les clients de Noémie. « Ils représentent l’activité comptable de la prostitution. L’idée est venue au montage. Ne montrer que les clients ne suffisait pas, on ne ressentait pas l’horreur de la répétition. »
Sur sa jeune interprète, Geneviève ne tarit pas d’éloges — et elle a raison. « J’ai découvert Kelly dans La Déesse des mouches à feu et elle était la seule que je voyais pouvoir incarner Noémie. Je lui ai offert le rôle, sans lui faire passer de casting. Il fallait une comédienne hyper solide, qui ait une profondeur du regard, une intelligence du jeu. Kelly trouvait le scénario trop difficile et je lui ai expliqué la mise en scène, l’absence de nudité. Elle a accepté. C’est une chance ! »
La réalisatrice précise sa façon de travailler : « Nous répétons énormément, d’autant plus les scènes de prostitution qui sont difficiles pour les acteurs. On ne peut pas se permettre de les laisser dans le flou, ce serait trop fragilisant. C’est une chorégraphie très précise et très importante. Nous avions aussi sur le plateau une coordinatrice d’intimité — je ne crois pas que cette fonction existe en France —, qui s’assurait que tout soit en règle, qui rassurait, qui encadrait. La prostitution est un cauchemar pour la majorité de celles qui s’y livrent et n’est positive que pour un petit nombre. Pourquoi persiste-t-elle ? Il existe un statu quo dans nos sociétés qui fait que rien ne change. »
Déjà, Geneviève Albert écrit deux projets différents : « Le premier est dans la veine des drames sociaux et le second sur la stérilisation forcée des femmes autochtones, la dernière ayant eu lieu en 2019 ! Je co-réaliserai ce projet avec une copine qui est Abenaqui, un des onze Premiers Peuples. »
Jean-Charles Lemeunier
Noémie dit oui
Année : 2022
Origine : Canada
Réal., scén. : Geneviève Albert
Photo : Léna Mill-Reuillard
Musique : Frannie Holder
Montage : Amélie Labrèche
Durée : 113 min
Avec Kelly Depeault, Emi Chicoine, James Edward Metayer…
Sortie au cinéma le 26 avril 2023.