Comme une salade de fruits, voici un film bien joli joli. Et qui s’inscrit dans un courant qui remet la comédie musicale à la mode, après Emilia Perez, Joker 2 et Les Reines du drame, simultanément à Wicked, Mufasa et The End pour n’en citer que quelques-uns.
Joli Joli a été conçu par Diastème et Alex Beaupain comme « une comédie musicale classique ». Rencontrés lors de l’avant-première lyonnaise de leur film, les deux compères — accompagnés par l’acteur William Lebghil — expliquent leur démarche.
« Au début, commence Alex Beaupain, nous voulions faire une opérette, pour la scène ou pour un film. Ce qu’on appelle comédie musicale, c’est finalement l’opérette revue par les Américains. »
Diastème ajoute : « Il existe des règles très précises dans l’opérette, que nous avons suivies. Elle doit se dérouler à une époque antérieure, nous avons donc situé notre film en 1977. Elle comporte quatre actes, avec un retournement de situation à la fin de chacun d’eux. Et elle doit se terminer bien. En général, il s’agit toujours d’histoires d’amour contrariées. Nous sommes partis sur cette base-là. Et nous nous sommes bien amusés à l’intérieur de tout cela. Ce n’est pas un pastiche, nous voulions vraiment nous inscrire dans le genre. »
Les deux précisent qu’ils ont travaillé « à l’ancienne ». « On a écrit ensemble, face à face. »
Alex Beaupain a composé les chansons, Diastème en a écrit quelques-unes, les plus légères, comme celle des éboueurs. « Sur les paroles, commente le musicien, Diastème m’a débloqué. Mes chansons sont un peu écrites, un peu littéraires. Quand j’ai vu ce qu’écrivait Diastème, je me suis dit : Ah oui, OK, je vais aller là-dedans. »
Beaupain poursuit : « Les chansons ont deux rôles, narratif et lyrique. Elles sont une sorte de voix-off qui expriment les sentiments. L’action se déroulait dans les années soixante-dix mais je ne voulais pas trop de références musicales. La seule idée était d’être généreux. Certes, les chœurs sont un peu disneyens ou sont des rappels de Michel Legrand. Et puis, il y a une écriture un peu disco dans les cordes, à la fin. »
Le plaisir ressenti à suivre Joli Joli vient beaucoup, outre la sympathie que dégagent le film et ses interprètes, des repères semés par les deux auteurs. On est à la fois dans une trame connue, puisque suivant les grandes règles des comédies musicales américaines, et l’on est à chaque fois surpris par un pas de côté, une pirouette qui font que l’ensemble est finalement différent.
Ainsi, William Lebghil est-il un écrivain en panne d’inspiration, comme pouvait l’être Ewan McGregor dans Moulin Rouge ! Un étrange personnage, joué par José Garcia, débarque chez lui et l’on pense forcément au Diable, tel que Paul Williams l’incarne dans Phantom of the Paradise. Mais, d’une ligne de dialogue, Lebghil désamorce l’idée que se fait le spectateur en demandant à Garcia : « Vous êtes le Diable ? »
« On pouvait se permettre une connivence avec le spectateur, précise Diastème, pour qu’il soit complice. »
Ainsi, pendant tout le film, Diastème et Alex Beaupain s’amusent à nous surprendre et nous rassurer, à reproduire le classique pour s’en éloigner aussitôt, servis par des acteurs qui semblent eux aussi prendre beaucoup, de plaisir : William Lebghil, José Garcia, Clara Lucciani, Laura Felpin, Vincent Dedienne, Victor Belmondo, Grégoire Ludig, Jeanne Rosa, Thomas VDB (dans un excellent numéro d’huissier très joliment chorégraphié par Marion Motin), etc. Et qui chantent tous réellement.
« On voulait que les comédiens chantent, reprend Diastème. On savait que Laura Felpin, Vincent Dedienne, Jeanne Rosa en étaient capables. » Alex Beaupain ajoute : « Tous ont été testés, ils avaient une voix qui était là. Nous avons fait beaucoup de répétitions. Et j’ai composé des mélodies plus acrobatiques que ce que je peux faire d’habitude. Le premier truc magique est de chercher la tessiture. Ça ouvre et c’est le premier travail important. Avec, malgré tout, le casse-tête des duos, quatuors, etc. »
Quant à William Lebghil, il le dit lui-même : « J’adore chanter. Je l’avais déjà fait au théâtre à plusieurs reprises et c’était un rêve de pouvoir le faire au cinéma, que j’attendais secrètement. » Il confie également qu’à force de répétitions, « il arrive un moment où on s’abandonne tellement qu’on arrive à vraiment jouer l’intention qui est dans les paroles des chansons ».
Diastème avoue avoir tout de suite pensé à Clara Lucciani. « Comme Alex avait travaillé avec elle il y a quelques années, on lui a envoyé le scénario. Elle a très vite eu envie de le faire. Sa seule inquiétude était la comédie. Cela s’est réglé très vite. Clara est très drôle, vanneuse, taquine et extrêmement simple. »
Si Alex Beaupain n’a pas recherché spécialement de références musicales, Diastème a, en revanche, truffé son film de clins d’œil cinéphiliques : aux grandes comédies musicales, que ce soit les américaines ou les françaises de Jacques Demy, aux films des années soixante-dix, au cinéma italien et même à Casablanca. « Il y a des références partout, admet-il, comme la reproduction en grand d’un billet de concert de Bob Dylan, affichée au mur. »
Est également traitée, dans une très belle séquence, la disparition des salles de cinémas. Le film se déroule sur un tournage et une avant-première parisienne doit avoir lieu… sauf que l’attachée de presse (Laura Felpin) a oublié de mentionner l’adresse sur le carton d’invitation. On voit donc des journalistes indécis, assis sur le banc d’un arrêt de bus sous la neige, listant tous les cinémas des Champs-Élysées, aujourd’hui disparus.
« Cette dernière partie de l’avant-première, reprend Diastème, a été filmée au Bretagne, un des plus grands cinémas de Paris qui venait de fermer. Ça a été une grosse émotion de filmer cet endroit. »
Bien sûr, à une époque aussi anxiogène que la nôtre, il est sans doute normal que les comédies musicales fassent leur réapparition. Les plus grands musicals américains n’ont-ils pas été tournés dans les années trente, alors que se préparait le second conflit mondial, puis dans les 50’s, en pleine guerre froide ?
William Lebghil, lui, avoue sa passion pour Chantons sous la pluie et la comédie musicale en général. « J’en ai vu et apprécié assez pour savoir que j’adore ce genre. Et j’ai été bercé par Disney depuis ma plus tendre enfance. Il est bon de revenir aux primitifs ! »
Jean-Charles Lemeunier
Joli Joli
Année : 2024
Origine : France
Réal. : Diastème
Scén. et chansons : Alex Beaupin, Diastème
Photo : Philippe Guilbert
Musique : Alex Beaupain
Montage : Chantal Hymans
Durée : 114 min
Avec Clara Lucciani, William Lebghil, José Garcia, Laura Felpin, Vincent Dedienne, Grégoire Ludig, Jeanne Rosa, Victor Belmondo, Carolina Jurczak, Anne Serra, Alban Lenoir, Thomas VDB…
Sortie en salles par Haut et Court le 25 décembre 2024.