Âmes sensibles, écartez-vous : je vais commettre un crime de lèse-majesté. Je sais que mes collègues de Versus adorent James Cameron, je suis moi-même très fan de ses deux Terminator et même du Titanic mais j’avoue que je décroche avec la saga Avatar. Déjà le premier opus m’avait semblé un peu trop New Age à mon goût. Comme les dieux anciens sont dépassés, le scénario prenait fait et cause pour des peuplades dites primitives qui vénèrent comme une déesse l’esprit de leur planète. Dans une histoire qui ressemblait fort à celle de Pocahontas revue et corrigée, on désignait les méchants militaires et les gentils scientifiques et l’on montrait que la science ne pouvait que servir de mauvaises causes. Ce qui, pour ma part, restait un peu dur à avaler.
Et voici que Cameron remet le couvert. Il nous montre d’infâmes chasseurs de baleines (enfin, de tulkuns) qui sont aidés par un scientifique réticent. Qui donc, bien que pas du tout d’accord, participe à l’extermination de ces gros et sympathiques mammifères marins.
On l’aura compris, le discours de ce deuxième opus d’Avatar est tout aussi écolo et New Age que le premier avec une dimension familiale qui envahit l’ensemble du propos en rejetant toute lecture freudienne. Contrairement à l’autre saga à milliards de la production américaine, Star Wars, ici on ne tue pas le père. On s’affronte à lui et on le sauve.
Certes, on ne peut le nier, la planète Pandora inventée et reconstituée par Cameron est très belle et c’est un vrai plaisir que de s’y balader, tant les effets spéciaux sont réussis. On ne peut que saluer l’inventivité des paysages et des espèces, la fluidité — grâce à la motion capture et au procédé de 60 images par seconde —, le mélange de personnages humains et personnages recréés, etc. On aimerait toutefois apprécier ces horizons ébouriffants non pas comme une fin en soi mais comme le décor d’une aventure qui tienne la route. À la place, on nous sert à peine réchauffé le sempiternel combat des bons contre les méchants qui prend ici les allures d’un western minimaliste, ou ces rapports familiaux père-fils, mère-fille que l’on a tant vus et revus. Seuls changent les lieux, car ces populations de l’outre-espace se comportent comme des humains, à un doigt près. Le tout est en outre malheureusement noyé dans une musique archi hollywoodienne à la limite du supportable. Elle est signée par Simon Frangien, l’auteur de la b.o. du premier film, le regretté James Horner, ayant rangé ses partitions depuis 2015.
Alors, Cameron innove et invente une nouvelle façon d’écrire un scénario en y mêlant une grande part pseudo-documentaire. Pour faire court, comme la famille de Na’vis de Jake Sully n’est plus à l’abri dans sa forêt, elle est contrainte de se réfugier auprès d’une peuplade des îles du Sud, semblable aux Polynésiens quand ils voyaient arriver le Bounty. On ne peut le nier, le décor est magnifique aussi Cameron se sert du prétexte de suivre les enfants de Sully qui se font des copains sur place pour ouvrir une (trop) longue parenthèse documentaire sur les fonds sous-marins de cette nouvelle contrée. On se croirait revenu au temps de la Calypso et du commandant Cousteau et l’on sait le respect dans lequel Cameron tient le marin français.
La dernière partie du film devient plus intéressante puisque l’action se réactive et que, on ne change pas une équipe qui gagne, le cinéaste nous ressert le Titanic en guise de plateau dessert. On ne peut nier les belles trouvailles visuelles, tels ces robots-crabes qui semblent tout droit sortis de Starship Troopers… Tiens, en voilà un film qui, sous couvert d’une aventure militaire, semait la subversion comme autant de graines géniales, avec beaucoup d’humour, un état d’esprit totalement absent d’Avatar. Car, et cela est très étonnant de la part d’un blockbuster US, aucun sourire et encore moins rire ne vient pointer le bout de son nez tout au long des plus de trois heures de projection.
Cameron est tellement à fond dans son projet qu’il a demandé à un linguiste d’inventer de toute pièce une langue vernaculaire. Sauf que, pour la facilité, la plupart des dialogues sont en anglais, y compris lorsque les Na’vis, chassés de leurs forêts, rencontrent le peuple de la mer. Contraintes financières, rétorquerez-vous, afin que le film soit accessible au public le plus vaste possible. Pourtant, Mel Gibson a bien fait causer son Jésus araméen pendant tout un film, non ? Les Ricains ont cela de pratique : ils restent persuadés que l’ensemble de la galaxie et au-delà, de la Voie lactée à Alpha du Centaure, speak english.
Le scénario d’Avatar 2 devait être finalisé avant que Disney rachète la Fox, au sein de laquelle il est produit. Pourtant, le film semble s’adresser à des enfants, en dessous de 7 ans et au delà de 77 ans, à ce public enfantin qui forme la grande majorité de l’audience américaine.
Parlons un peu histoire du cinéma. Dans les années soixante-dix, sans doute à cause de la guerre du Vietnam, sans doute à cause du Watergate, sans doute aussi à cause des mouvements de révolte des communautés laissées sur le bord de la route (afro-américaine, amérindienne, homosexuelle, etc.), le cinéma américain semblait avoir atteint l’âge adulte. Plus rien n’était ou tout blanc ou tout noir, la désillusion et les remises en question étaient dans l’air. Depuis les années Reagan et la décennie suivante, il semble que la production ait majoritairement glissé vers les valeurs fondamentales (la famille, la patrie), que l’on ripoline parfois de thématiques plus dans l’air du temps (comme ici l’écologie) mais sans trop faire de vagues. Car que pensez-vous que feront les spectateurs américains lorsqu’ils sortiront de la salle de cinéma, après la vision d’Avatar 2 ? Qu’ils auront une pensée émue pour Greta Thunberg ou qu’ils remonteront tranquillement dans leur pick-up diesel, rejoindront un magasin climatisé pour s’offrir un soda sucré et attendront les prochaines élections pour choisir entre deux candidats qui ne voient pas que la terre a continué à tourner loin d’eux ? Je sais, dès qu’il est question d’Amérique, on ne peut éviter de s’enfoncer dans les clichés.
Déjà sont annoncés, d’ici 2028 — mais il faudra sans doute encore reculer l’échéance —, trois autres titres de la franchise Avatar. Laquelle a pris du retard puisque, dans un article de 2013, il était question que la série s’étale jusqu’en 2018. Ce qui fait carrément une décennie de moins par rapport aux dates avancées aujourd’hui. James Cameron a créé un monde nouveau et, d’après lui, trois nouveaux films seront à peine suffisants pour en faire le tour. Reste à savoir si les spectateurs le suivront sur une aussi longue durée, dans le style de ce qu’ont totalisé tous les Star Wars ? A priori, le démarrage du nouvel opus se passe plutôt bien. Attendons, donc.
Jean-Charles Lemeunier
Avatar 2 : La voie de l’eau
Année : 2022
Origine : États-Unis
Titre original : Avatar: The Way of Water
Réal. : James Cameron
Scén. : James Cameron, Josh Friedman d’après James Cameron
Photo : Russell Carpenter
Musique : Simon Frangien
Montage : David Brenner, James Cameron, John Refoua, Stephen Rivkin, Ian Silverstein
Durée : 192 min
Avec Sam Worthington, Zoe Saldana, Jamie Flatters, Sigourney Weaver, Kate Winslet, Stephen Lang…
Sortie en salles le 14 décembre 2022.